les méandres du destin + van

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Il y avait, dans une des innombrables rues des quartiers sud de Paris, une petite mercerie où j'aimais beaucoup me rendre quand j'avais besoin de matériel de couture. Je n'avais jamais été une couturière aguerrie, mais mes parents avaient insisté pour que je connaisse les bases de la couture ; j'avais moi-même fini par penser qu'il serait mieux d'avoir de quoi réparer les dégâts ordinaires que la vie parisienne pouvait infliger à ma robe. On n'était jamais à l'abri d'une couture défaite, et même si ce pragmatisme manquait un peu de magie, j'aimais prétendre qu'avec un sort je pouvais tout réparer.

La propriétaire de la mercerie s'appelait Vanessa et elle ne semblait pas dérangée par mes fantasmes. En fait, je l'aimais beaucoup à cause de cela. La première fois que j'étais venue dans sa boutique, j'étais surtout entrée pour elle, attirée par cette magnifique femme aux cheveux blonds et à l'air doux. Elle n'avait pas vraiment l'air d'une sorcière, plutôt d'une fée, mais j'avais eu envie d'entrer dans sa boutique car il me semblait qu'elle était de l'étoffe dans laquelle sont faites les femmes que j'admire tant. Dans les faits, elle m'offrit plusieurs conseils qui me furent précieux, et ce fut avec plaisir que je devins une cliente régulière. J'aimais beaucoup Vanessa, et j'osais espérer qu'elle m'appréciait également.

Il n'y avait aucun client dans la boutique quand j'entrais, et je saluais Vanessa d'un beau sourire. « Bonjour, mademoiselle Vanessa, comment allez-vous ? » Une entrée en matière somme toute classique, mais ma mère m'avait appris à mettre les formes où que j'aille. Je tenais au bras le sac où je rangerais mes achats une fois fini ; il y avait, à l'intérieur, le petit carnet où je notais mes observations. J'avais bien l'intention de raconter certaines de mes péripéties à Vanessa ; après tout, c'était aussi pour cela que j'allais chez elle, alors qu'il y avait des merceries plus proches de mon domicile. Je venais pour son professionnalisme, mais aussi pour sa personnalité que je trouvais fort agréable.

L'après-midi était bien entamée.
En cette saison, les journées racourcissaient, entraînant dans leur course le soleil qui s'éclipsait de plus en plus vite. Les hauts immeubles qui faisaient face à ma mercerie projetaient une ombre froide sur ma vitrine quelques heures à peine après le déjeuner. À cause des températures en baisse, je disposais de lourds rideaux aux vitres pour en couper la fraîcheur, et je m'éclairais uniquement de quelques lampes à huile. La lumière tamisée n'éclairaient qu'imparfaitement les rangées de tissus que j'avais disposées sur les côtés du magasin, mais je n'avais pas besoin d'y voir plus clair. L'essentiel de mon attention était pris par le tri minutieux des boutons ornementaux que mon fournisseur m'avait fait parvenir le matin même.

La clochette de la porte d'entrée et un bref rai de lumière me firent lever les yeux de mon travail. Je reconnus avant même qu'elle ne me parlât la jeune demoiselle qui venait régulièrement s'équiper chez moi. J'appréciais sa voix douce et ses manières distinguées. Joséphine était de ces jeunes femmes parfaitement éduquées qui ne dépensaient pas plus d'énergie que nécessaire dans chacun de leurs gestes. Dans ma jeunesse, je m'étais trouvée dans une position similaire à la sienne, mais je n'avais jamais su parvenir au point où elle était arrivée. Je répondis avec soin à ses politesses : « Bonjour, mademoiselle. Quel plaisir de vous voir ici. La journée a été calme, je commençais à m'ennuyer, mais vous venez de l'égayer par votre présence. » Et je ne mentais pas. Lorsque le temps se faisait moins clément, les clientes étaient plus réticentes à sortir de chez elles, et elles le faisaient généralement aux heures les plus éclairées. Si elles devaient être de sortie l'après-midi, elles privilégiaient davantage les salons de thé bien chauffés aux merceries froides et obscures.

Je laissais sur la table le bouton que j'étais en train d'examiner pour me porter à la rencontre de ma cliente. Il y avait heureusement assez de lumière pour se déplacer au centre de la boutique sans se cogner aux rayonnages, mais j'avais comme principe de toujours accompagner mes clientes dans leurs emplettes. Je n'étais pas qu'une simple vendeuse, je fournissais un service. Mes jupes émirent un son étouffé en frottant l'étoffe du rayon des rubans. « De quoi avez-vous besoin aujourd'hui mademoiselle ? Peut-être puis-je vous proposer quelques ornements pour décorer votre magnifique chevelure ? » Dans le contrejour de la porte d'entrée, ses cheveux brillaient comme les plumes d'un corbeau bien lustrées. Je ne pouvais résister à l'envie de les décorer d'une petite fleur rose en velours, ou bien d'un filet de dentelle piquée de petites pierres lumineuses.

J'avais fait une liste de tout ce dont j'aurai besoin dans mon carnet, au cas où. J'avais toujours un peu peur que, sous le coup de l'émotion, j'oublierais ce dont j'avais besoin. C'était une habitude que j'avais prise à chaque fois que je devais faire des emplettes. Vanessa Argent, cependant, me mettait toujours à l'aise, et ce à partir du moment où elle me saluait. Elle exprimait un plaisir que je pensais sincère à me voir ; peut-être mentait-elle lorsqu'elle parlait de sa journée calme, mais je ne doutais pas un instant que c'était véritablement un plaisir de me voir. Et, presque timidement, je répondai : « Moi aussi, je suis ravie de vous revoir. »

Vanessa marcha jusqu'à moi. J'admirais beaucoup sa démarche ; elle avait l'air d'une jeune femme de bonne éducation quand elle se déplaçait, se tenant le dos bien droit. Les femmes du peuple ne faisaient pas toujours cela. Bien sûr, cela ne changeait à la façon dont je la traitais ; disons plutôt que cela accentuait la fascination que j'avais pour elle. Elle complimentait ma chevelure, mais j'aimais encore plus la sienne ; lorsque ses cheveux attrapaient le soleil, ils ressemblaient à une cascade d'or. Les miens se contentaient de briller timidement. « Ah, je ne suis pas venue pour un ornement, mais... » Je ne me voyais pas dire non. Je n'avais pas de problème d'argent, après tout, donc je pouvais me permettre une telle fantaisie de temps à autre. Je détournais le regard, un peu embarrassée, avant d'énumérer la liste de ce dont j'avais besoin : du fil, des boutons de manchette, un nouveau dé à coudre, des échantillons de tissu pour une cape.

Nous étions tombées dans une conversation agréable et commencions même à dériver de notre premier sujet de conversation. Je commençais à lui décrire quelques personnes auxquelles j'avais prêté attention, comme j'aimais à le faire. « Oh, et puis il y avait cette dame magnifique, également. Elle portait une longue robe de mousseline rose quand je l'ai croisée, je pense que vous l'auriez aimée. »